Nœud ferroviaire

Nœud ferroviaire

Que peut-on voir ici ?
Les ours, le bordel et la gare
répondent quelques voix sous des parapluies
Comme dans l’Ouest américain d’autrefois
la grande affaire c’est encore ce train
partout de hauts essieux rouillent sous les ombelles
et des locomotives à cloches de bronze
barbouillent ce dessin d’enfant bicolore

Entre les tas de tourbe deux étudiants
jouent aux cartes au bord d’une flaque
il faut bien traverser cet été
qui ressemble à l’automne ailleurs
Les champs, les guérets verts répètent :
« …un… deux…trois cents corbeaux »
Dites donc ! cet endroit m’a l’air fait avec les restes
avec les chutes d’autres paysages mieux foutus
mais ce qu’il a pour lui
ce qui me touche
ce qu’aucune indiscrétion ne pourrait lui prendre
c’est ce solide habit normand de l’herbe
et là-dessus ces chevaux noirs
qui me font « oui » éperdument hochant la tête
tous pleins d’espoirs et de projets

A la fenêtre du wagon
où cent mille coudes avant les miens
ont fait briller ce bois comme de la soie
je pense à ma vie mal cousue
et quand le cœur me
manque
ces chevaux noirs, je les regarde
ancrés dans les prés comme de lourds navires
leur chevalinité m’est un bienfait

Hokkaido, été 1965

Nicolas Bouvier, Le dehors et le dedans
Le dehors, « Chansons d’un compagnon voyageur »

L’illustration est une photo du photographe japonais Daido Moriyama. Elle appartient à la série « Hokkaido, 1978 ».

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