
Dans la compagnie des monstres
Après l’article d’Irène sur Travis Louie, pour continuer sur le thème du monstre…
Dans la compagnie des monstres
Il fut bientôt évident (dès mon adolescence) que j’étais né pour vivre avec les monstres.
Ils furent longtemps terribles, puis ils cessèrent d’être terribles et après une grande virulence, petit à petit s’atténuèrent. Enfin ils devinrent inactifs et je vivais en sérénité parmi eux.
C’était l’époque ou d’autres, encore insoupçonnés, se mettaient à se former et un jour se présenteraient à moi, actifs et terribles (car s’ils devaient venir surgir pour être oisifs et tenus en laisse, qui pense qu’ils viendraient jamais ?), mais après avoir noirci tout l’horizon, ils en venaient à s’atténuer et je vivais parmi eux avec égalité d’âme et c’était une belle chose, surtout ayant menacé d’être si détestable, presque mortelle.
Eux qui au premier abord étaient si démesurés, infects, répugnants, prenaient une telle figure de contour qu’on les eût, malgré leurs formes impossibles, presque introduits dans la nature.
C’est l’âge qui faisait cela. Oui. Et quel était le signe de leur stade inoffensif ? C’est très simple. Ils n’avaient plus d’yeux. Lavés des organes de la détection, leurs visages quoique monstrueux de forme, leurs têtes, leurs corps maintenant ne gênaient pas plus que celle des cônes, des sphères, des cylindres ou des volumes que la nature offre en ses rochers, ses galets et dans bien d’autres de ses domaines.
Henri Michaux, Épreuves, exorcismes (1946)
Image :
Henri Michaux, Prince de la nuit, 1937
Qui d’autre que Michaux pour illustrer Michaux ?