
Rue de Javel
Extrait de Vie de Gérard Fulmard de Jean Echenoz, grand écrivain capable de faire sentir comme personne la mélancolie des « balcons en plexiglas fumé ».
« Les matins, si je n’avais pas envie de rester dans ma chambre, ou les après-midis, quand le chauffage était suspendu trop longtemps, j’allais faire un tour dans la rue. Celle-ci, trois fois plus longue que la mienne, n’inspirait guère plus d’entrain. De plus, autant les immeubles de la rue Erlanger pouvaient prétendre à une certaine unité de style, autant la rue de Javel, très disparate à cet égard, consistait en un échantillon ingrat des modes architecturales qui se sont succédé depuis son percement.
De l’humble crépi populaire à la façade hâbleuse en verre miroir, de la brique sociale bon marché d’entre-deux-guerres à la brique rouge et ocre émaillée sous toiture en dents de scie, d’un post hausmannisme sans le sou à un louis-philippard fauché, d’Empire en Art Déco tout aussi fatigués, la rue de Javel n’était qu’une succession de blocs hétéroclites en matériaux désassortis sans états d’âmes. Abstruses façades aveugles au carrelage terni, béton brut d’avant-garde obsolète, balcons en plexiglas fumé, poussiéreux bow-windows n’en ayant guère que le nom, peu de ces constructions étaient signées par leurs auteurs, abandonnées là comme des lettres anonymes.
C’est en traînant au bout de cette rue […] »
La photo au titre évocateur « Rentrez chez vous-Paris » est de Bernard Plossu. Plossu a sorti un livre en 2018 regroupant ses nombreuses photos de Paris prises pendant 60 ans. Il dit, sans grande originalité, mais en écho à notre texte : «La clé de Paris, c’est de circuler en autobus et – de la fenêtre – regarder les toits des immeubles et toutes les époques d’architecture!»